Livre Bleu Diplomatique 2024
Chapitre 1
Vue d’ensemble de la situation internationale et perspectives diplomatiques du Japon La dignité humaine – Message au monde à un tournant de l’Histoire
Pour pouvoir défendre ses intérêts dans les domaines de la diplomatie, de la sécurité et de l’économie, prévenir les crises et assurer la sécurité et la prospérité de ses citoyens, y compris celle des ressortissants japonais vivant à l’étranger, le Japon doit travailler activement au maintien et au renforcement d’un ordre international fondé sur les valeurs et les principes universels que sont la liberté, la démocratie, les droits de l’Homme et l’État de droit, ainsi qu’à la création d’un environnement international pacifique et stable. Cela implique de développer une diplomatie de manière stratégique et agile, en analysant avec lucidité les tendances politiques et géopolitiques internationales et en répondant aux changements par de l’adaptation et de la flexibilité.
Ce chapitre propose une vue d’ensemble de la situation internationale qui entoure le Japon, ainsi que des perspectives pour la diplomatie japonaise.
1 Vue d’ensemble de la situation internationale
Considérer la situation internationale dans son ensemble depuis la fin de la guerre froide mène au constat que la communauté internationale se trouve aujourd’hui à nouveau à un tournant majeur de son Histoire. Pendant un certain temps après la fin de la guerre froide, un ordre international stable s’est développé à travers le monde. Les démocraties avancées – dont les États-Unis qui disposent d’une puissance étatique démesurée et le Japon – ont pris l’initiative pour maintenir et développer un ordre international fondé sur des valeurs fondamentales et des principes tels que la liberté, la démocratie, le respect des droits fondamentaux de l’Homme et l’État de droit. Partout s’est accentuée la tendance des pays à coopérer pour améliorer l’équité, la transparence et la prévisibilité des relations internationales. Bénéficiant de cet ordre international, l’économie s’est mondialisée et l’interdépendance a progressé, et la communauté internationale dans son ensemble, pays en développement compris, a pu profiter d’un certain degré de stabilité et de croissance économique.
Bien que la mondialisation ait réduit les disparités parmi les nations du monde dans leur ensemble, certains pays, comme les pays les moins avancés (PMA), n’ont pas pu profiter pleinement de ses avantages. En même temps, dans les pays développés, les disparités internes se sont plutôt creusées, entraînant des tensions et des divisions politiques et sociales et déstabilisant les systèmes démocratiques. D’autre part, l’essor des pays émergents et en développement, qui ont grandement bénéficié de l’ordre international décrit plus tôt, a conduit ces dernières années à une diversification de la communauté internationale. Certains des pays de ce bloc que l’on appelle aujourd’hui Sud global sont conscients de ce changement et cherchent à exercer une plus grande influence, pour faire correspondre la force de leur voix politique à leur nouvelle puissance nationale.
Parallèlement, on constate que certains États renforcent leurs capacités militaires de manière rapide et opaque, cherchant à s’affirmer davantage et à remettre en question l’ordre international existant, pour qu’il corresponde à leur lecture de l’histoire et aux valeurs qui en découlent. Il existe également une tendance de certains à abuser de leurs situations de dépendance économique, et à les utiliser comme arme pour atteindre des objectifs politiques. Dans ce contexte, le champ de la sécurité s’élargit à des enjeux tels que la sécurité et la résilience des chaînes d’approvisionnement en semi-conducteurs et en minerais essentiels, la promotion et la protection des technologies critiques et émergentes, la cybersécurité et la lutte contre la désinformation. Face à de tels changements de l’équilibre des pouvoirs et de l’environnement sécuritaire, la concurrence entre les nations devient plus intense et plus complexe.
La communauté internationale dans son ensemble continue de faire face à des enjeux extrêmement importants, comme le changement climatique, l’environnement, les maladies infectieuses, le désarmement et la non-prolifération nucléaires, le terrorisme et la criminalité transnationale organisée. Ces dernières années, l’informatisation et la numérisation ont rendu ces problématiques plus visibles et plus largement reconnues dans le monde entier. Face à ces défis, qui ne peuvent être relevés par une grande puissance seule, la coopération de la communauté internationale est plus que jamais nécessaire. D’autant plus que la mondialisation économique et l’interdépendance, qui ont progressé dans le contexte de l’après-guerre froide, demeurent des faits majeurs de l’ère de la concurrence entre les nations et un découplage complet n’est pas possible. Toutes ces dynamiques montrent la complexité de l’état actuel des relations internationales et la façon dont la confrontation, la concurrence et la coopération s’entremêlent.
C’est dans ce contexte de complexité que la Russie a lancé son agression contre l’Ukraine en février 2022, ébranlant jusqu’aux fondements de cet ordre international qui avait porté la paix, la stabilité et la prospérité dans la période de l’après-guerre froide. En octobre 2023, c’est la situation israélo-palestinienne qui s’est aggravée après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, et cela a également rendu plus complexe l’axe de confrontation au sein de la communauté internationale. Il devient difficile de dire que l’Organisation des Nations unies (ONU) remplit avec efficacité le rôle que l’on attend d’elle face aux crises auxquelles la communauté internationale doit répondre de toute urgence, et notamment les graves crises humanitaires qui s’installent à mesure que durent les conflits. Certains pays déjà, issus notamment du Sud global, semblent avoir accumulé de la méfiance à l’égard du système de gouvernance mondiale1 existant.
La complexité et l’entremêlement actuels des relations internationales font que des conflits comme ceux que nous observons en Europe et au Moyen-Orient ne se limitent pas uniquement à ce qu’ils sont à l’échelle de leur région : ils révèlent également de nouvelles menaces à une échelle plus large, telles que les cyberattaques ou la diffusion de la désinformation. Ces menaces constituent une entrave à la coopération internationale pour la réponse aux enjeux mondiaux et affectent la stabilité et la prospérité de toutes les régions du monde, y compris celles du Japon. Ce contexte et les influences réciproques qui existent partout entre politique intérieure et politique extérieure font que 2024, une année avec d’importantes échéances électorales prévues dans différentes parties du monde, sera une année critique.
Faisant suite à cette mise en contexte, la partie ci-dessous présente les principales problématiques auxquelles la communauté internationale est confrontée.
- 1 Gouvernance mondiale : Ensemble des institutions, politiques, normes, procédures et initiatives qui assurent la prévisibilité, la stabilité et l’ordre dans le traitement des problématiques interétatiques, répondant à l’absence à l’échelle internationale d’institution remplissant le rôle que les gouvernements remplissent à l’échelle nationale.
(1) Remise en cause de l’ordre international libre, ouvert et fondé sur l’État de droit
Alors que des conflits font rage dans deux des trois régions qui ont historiquement joué un rôle important dans la stabilité mondiale, à savoir l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie de l’Est, la nécessité d’une stabilité dans la région indopacifique et notamment en Asie de l’Est est plus importante que jamais.
La Russie poursuit son agression contre l’Ukraine depuis février 2022. La violation de manière flagrante par un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies des principes de la Charte des Nations unies que sont la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’interdiction générale du recours à la force est un acte scandaleux qui ébranle les fondements mêmes de l’ordre international que la communauté internationale a construit au terme d’une longue période de dur labeur et au prix de nombreux sacrifices. La communauté internationale ne doit pas permettre un tel acte. La Russie a par ailleurs menacé à plusieurs reprises l’Ukraine d’utiliser des armes nucléaires, et la communauté internationale doit rejeter fermement la menace nucléaire de la Russie et a fortiori l’utilisation de telles armes.
En 2023, lors du sommet du G7 organisé par le Japon à Hiroshima – auquel a participé le Président ukrainien Volodymyr ZELENSKY – les dirigeants des pays du G7 ont affirmé qu’ils continueraient à soutenir résolument l’Ukraine et à imposer des sanctions sévères à la Russie. Ils ont également souligné que la paix ne pouvait être obtenue sans le retrait des troupes russes et confirmé qu’ils feraient tous les efforts possibles pour ramener la paix en Ukraine. Enfin, les dirigeants des pays du G7 ont fait part à la communauté internationale de leur détermination à défendre et à renforcer l’ordre international libre, ouvert et fondé sur l’État de droit, à protéger la paix et la prospérité et à faire émerger un « monde sans armes nucléaires ». Actuellement, certains font état d’une lassitude dans le soutien apporté à l’Ukraine, et d’autres font remarquer un certain déclin de l’intérêt pour ce conflit, qui s’installe notamment à mesure notamment que se détériore la situation au Moyen-Orient. Cependant, l’instauration d’une paix juste et durable en Ukraine, fondée sur le retrait complet et inconditionnel des troupes russes, est essentielle au maintien de l’État de droit au sein de la communauté internationale.
Dans notre communauté internationale contemporaine, où les relations internationales sont étroitement liées, l’agression de la Russie contre l’Ukraine et les tentatives de modifier unilatéralement le statu quo par la force en Asie de l’Est ne sont pas des évènements distincts et géographiquement isolés. La sécurité de la région euro-atlantique et celle de l’indopacifique sont indissociables, et la coopération avec un large éventail de pays affinitaires, dont les pays européens et par le biais notamment de l’Union européenne (UE) et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), est importante pour maintenir et renforcer l’ordre international libre, ouvert et fondé sur l’État de droit.
En Asie de l’Est, donc dans la région entourant le Japon, la Corée du Nord a intensifié le développement de ses armes nucléaires et de ses missiles, notamment en lançant des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM). Dans le même temps, la Chine a poursuivi et intensifié ses tentatives unilatérales de modifier le statu quo par la force en mer de Chine orientale et en mer de Chine méridionale, y compris dans les eaux entourant les îles Senkaku, et a poursuivi et intensifié une série d’activités militaires autour du Japon. L’environnement sécuritaire autour du Japon n’a jamais été aussi dégradé et complexe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan sont des sujets tout aussi importants. Lors du sommet de Hiroshima, le G7 a convenu de l’importance de transmettre à la Chine les préoccupations communes de ses pays membres, de l’appeler à agir en tant que membre responsable de la communauté internationale, et de continuer à travailler ensemble pour l’intérêt général, en coopérant notamment sur des problématiques mondiales comme le changement climatique, pour maintenir le dialogue et parvenir à une relation constructive et stable.
Dans ce contexte, et à l’occasion d’un sommet en novembre 2023, les dirigeants du Japon et de la Chine ont réaffirmé leur volonté de promouvoir une « relation mutuellement bénéfique fondée sur des intérêts stratégiques communs » et ont confirmé une orientation générale visant à construire une « relation constructive et stable ». Afin de garantir la stabilité de la région indopacifique, la coopération avec des pays partageant les mêmes valeurs fondamentales, tels que l’Australie, l’Inde, la Corée du Sud, les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et les pays insulaires du Pacifique, devient également de plus en plus importante.
(2) Les défis lancés à la gouvernance mondiale par le changement de l’équilibre des pouvoirs
La communauté internationale assiste à des changements historiques de l’équilibre des pouvoirs, alors que, bénéficiant de la stabilité de l’ordre international de l’après-guerre froide, se sont développées des économies émergentes. Un des symboles de la croissance rapide de la part des économies en développement et émergentes dans l’économie mondiale ces dernières années est l’Inde qui a vu son produit intérieur brut (PIB) dépasser celui du Royaume-Uni en 2023, la propulsant à la cinquième place du classement des puissances économiques mondiales.
Les pays émergents et en développement, également désignés ces dernières années par l’expression Sud global, sont de plus en plus conscients de ces changements et ont tendance à renforcer leur présence non seulement dans la sphère économique, mais aussi dans les sphères diplomatique et sécuritaire. En 2023, le monde a particulièrement été témoin des efforts déployés par les pays du Sud global pour renforcer leur unité : l’Inde, qui assurait alors la présidence du G20, a accueilli le « Sommet de la Voix du Sud », et l’élargissement de la composition des BRICS2 a été annoncé lors du sommet des BRICS, sous la présidence cette fois de l’Afrique du Sud.
La position géopolitique et la situation économique au sein de ce Sud global varient d’un pays à l’autre. Alors que certains sont catégorisés comme émergents et font partie du G20, d’autres sont plus vulnérables et souffrent de divers problèmes, comme la pauvreté, les conflits, le terrorisme et la criminalité transnationale organisée, les catastrophes naturelles ou encore les conséquences du changement climatique. Chaque pays a des intérêts et des agendas politiques qui lui sont propres. Cela a été particulièrement visible ces dernières années, avec la réponse de certains à l’agression de la Russie contre l’Ukraine, et plus spécifiquement avec leur attitude de vote vis-à-vis les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies et avec leur réticence à imposer des sanctions à la Russie. Il n’est pas pertinent d’envisager le Sud global comme une entité unique, il est au contraire important de travailler avec chaque pays de manière adaptée et ciblée, en prenant en compte les différents besoins de chaque pays.
Cette diversification des valeurs de la communauté internationale et cette concurrence géopolitique accrue entre les pays mettent les Nations unies à l’épreuve. En raison de l’exercice du droit de veto par les membres permanents, le Conseil de sécurité des Nations unies, qui a comme responsabilité principale de garantir la paix et la sécurité de la communauté internationale, n’a pas répondu efficacement aux situations en Ukraine et dans la région israélo-palestinienne. En conséquence, les appels au renforcement des fonctions des Nations unies et à la réforme du Conseil de sécurité se multiplient. Par ailleurs, et malgré les divers efforts déployés par l’Assemblée générale des Nations unies, certains estiment qu’il est devenu encore plus complexe d’y débattre depuis la détérioration de la situation israélo-palestinienne.
A l’heure où les cadres multilatéraux comme l’appareil onusien rencontrent des difficultés, la coopération entre les alliés et pays affinitaires, comme au sein du G7, entre le Japon, l’Australie, les États-Unis et l’Inde, ou entre le Japon, les États-Unis et la Corée du Sud prend de plus en plus d’importance. Le G7 en particulier n’a cessé d’apporter son large soutien à l’Ukraine et d’imposer des sanctions strictes à la Russie depuis le début du conflit. Les dirigeants du G7 ont d’ailleurs prévu à l’issue du sommet de Hiroshima de renforcer la coopération avec les partenaires internationaux au-delà du G7, y compris avec les pays du Sud global. Le Japon a œuvré pour que les résultats de ce sommet soient pris en compte par le G20, auquel participent également de nombreux pays de ce bloc. Comme il n’est plus possible pour la communauté internationale de converger vers un ensemble unique de valeurs et de principes, le Japon doit adopter une approche inclusive qui surmonte les conflits de valeurs et d’intérêts et étendre une diplomatie ciblée pour apporter à chaque pays le soutien dont il a réellement besoin.
- 2 BRICS : Terme utilisé pour désigner le groupe formé par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Lors de leur sommet d’août 2023, les BRICS ont annoncé inviter l’Argentine, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) à devenir de nouveaux membres (l’Argentine ayant ensuite retiré sa demande d’adhésion en raison d’un changement d’administration interne).
(3) Les impacts de la mondialisation économique et de l’interdépendance continuent
Malgré le contexte présenté plus haut, le réseau économique mondial qui s’est développé depuis la fin de la guerre froide continue de soutenir la croissance en tant que fondement commun de la communauté internationale. Dans le même temps, et du fait notamment du développement économique des pays émergents, de l’innovation technologique et de l’intensification des échanges humains, l’interdépendance internationale continue de se renforcer.
Cela a été particulièrement visible cette année quand les vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement mondiale ont été révélées par le COVID-19 et l’agression de la Russie contre l’Ukraine, avec des pénuries alimentaires et énergétiques qui ont frappé le monde entier et notamment les pays les plus vulnérables. Nous avons aussi pu observer certains pays tenter d’étendre leurs propres intérêts et leur pouvoir en abusant de leurs situations de dépendance économique et en utilisant leurs propres grands marchés comme outils de coercition. Cela montre qu’à une époque où un découplage complet n’est plus possible, la mondialisation économique et l’interdépendance n’apportent pas que des perspectives positives de croissance et de prospérité : elles apportent aussi le risque de menaces pour la sécurité. Des problèmes tels que le vol de propriété intellectuelle ou de technologies sensibles, et les limites d’un financement du développement qui ne tiendrait pas compte de la viabilité de la dette des autres pays ont également été identifiés, et le champ de la sécurité s’est élargi pour inclure le domaine de l’économie et celui des technologies critiques et émergentes.
Pour répondre à ces exigences contemporaines, lors du sommet du G7 à Hiroshima, le Japon a organisé une session spéciale sur la sécurité économique. C’était la première fois qu’un tel sujet était mis à l’ordre du jour du sommet du G7. Au cours de ce sommet, les dirigeants des pays du G7 ont affirmé que le G7 sera uni pour répondre aux problématiques de l’amélioration de la résilience de la chaîne d’approvisionnement et des infrastructures essentielles, du renforcement des réponses aux politiques et pratiques non commerciales et à la coercition économique, et de la gestion appropriée des technologies essentielles et émergentes.
Afin de contrer la coercition économique et les pratiques commerciales déloyales et d’étendre l’ordre économique international libre et équitable, il devient également de plus en plus important de maintenir et de renforcer le système commercial multilatéral, avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en son centre, et de créer de nouvelles règles adaptées à notre époque contemporaine. Il est également nécessaire d’intégrer la durabilité sociale et environnementale dans l’économie, et d’aborder l’environnement, les droits de l’Homme et l’égalité entre les sexes en gardant à l’esprit la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) et ce tout en visant la croissance économique. En réponse à ces défis mondiaux, des appels à la réforme des banques multilatérales de développement (BMD) y compris à celle de la Banque mondiale ont été lancés, en particulier depuis les pays du Sud global.
(4) Les nouveaux défis lancés par les problématiques mondiales complexes et par la science et la technologie
De nombreux défis menacent actuellement l’ensemble de l’humanité : le changement climatique ; la pollution de l’environnement ; les menaces à la santé mondiale et notamment les maladies infectieuses ; la pauvreté. L’impact du changement climatique est particulièrement visible, et de plus en plus sérieusement reconnu ces dernières années, alors que des phénomènes météorologiques extrêmes et des catastrophes naturelles, tels que les fortes pluies, les inondations, les sécheresses et les incendies de forêt redoublent en intensité et en fréquence. Des situations géopolitiques spécifiques telles que l’agression de la Russie contre l’Ukraine ont par ailleurs créé et exacerbé d’autres crises, comme celle des pénuries alimentaires et énergétiques, ou celle du nombre croissant de réfugiés et de déplacés, dont les déplacés internes, menant ainsi à de nouvelles crises humanitaires. En 2023, la communauté internationale se trouve à mi-chemin de l’échéance fixée pour la réalisation des ODD, mais l’aggravation des divisons et des situations conflictuelles rend complexe la coopération internationale pour l’accomplissement de ces objectifs.
Dans ce contexte de crises complexes, on remarque un regain d’intérêt pour la « dignité humaine » au sein de la communauté internationale : la vie et la dignité humaine sont des dénominateurs communs majeurs et incontestables pour l’humanité tout entière, et le meilleur point de départ si l’on veut conduire le monde vers la coopération internationale, et l’éloigner de la division et de l’affrontement. Alors que les femmes et les jeunes filles ont été particulièrement touchées par les affrontements armés en Ukraine et au Moyen-Orient, et que le monde s’active à la protection de ces femmes et jeunes filles, le point de vue de l’Agenda « Femmes, Paix et Sécurité » (FPS), selon lequel la communauté internationale a plus de chances de parvenir à une paix durable si les femmes participent activement et en tant que dirigeantes à la résolution des conflits, à la reconstruction et à la consolidation de la paix, bénéficie également d’un regain d’attention.
Dans un tout autre registre, on a observé des changements substantiels et irréversibles survenir dans la société et dans la vie quotidienne, à mesure que se sont installées les innovations technologiques que sont entre autres les systèmes de communication mobile de cinquième génération (5G), l’internet des objets (IoT), et la technologie quantique. Dans le même temps, le développement des réseaux sociaux a inauguré une ère où des lieux géographiquement éloignés sont instantanément reliés par l’information. Ces dynamiques de numérisation et d’informatisation de la société ont amélioré le confort de la vie humaine et facilité la communication transfrontalière, tandis que des problèmes mondiaux comme le changement climatique sont devenus plus visibles. Le cas de l’intelligence artificielle (IA) mérite particulièrement d’être mentionné ici : en se développant rapidement ces dernières années, l’IA a ouvert des perspectives de progrès pour la société humaine, tout en l’exposant, notamment par le biais de systèmes d’IA avancés comme l’IA générative à de nouveaux risques comme les cyberattaques, la manipulation de l’information et la diffusion de la désinformation. Il faut rappeler que de telles avancées technologiques, avec leur dualité d’usages possibles, à la fois civils et militaires, sont indissociables de la compétitivité nationale et des initiatives visant à renforcer la puissance militaire. Elles peuvent également mettre à l’épreuve les systèmes démocratiques eux-mêmes dans la mesure où le développement de biais de confirmation3 dans l’utilisation des réseaux sociaux a rendu plus difficile la formation d’une opinion publique fondée sur des informations correctes et un débat sain.
C’est dans ce contexte que les pays du G7 ont lancé à l’occasion du sommet du G7 à Hiroshima le « processus d’IA de Hiroshima » pour discuter notamment de la gouvernance internationale de l’IA générative. En décembre, ils se sont accordés sur le « cadre politique global du processus d’IA de Hiroshima », premier cadre proposant à tous les acteurs du domaine un ensemble de règles complet en matière d’IA. Un peu avant, en novembre, s’est tenu le sommet sur la sécurité de l’IA au Royaume-Uni, et des discussions ont eu lieu sur la coopération internationale en matière d’évaluation de la sécurité de l’IA.
Il est clair aujourd’hui que la paix et le progrès de nos sociétés internationales ne peuvent plus être assurés uniquement par la mondialisation et l’interdépendance des économies. L’agression prolongée de la Russie contre l’Ukraine et la détérioration rapide de la situation israélo-palestinienne en sont la preuve. La coopération internationale transfrontalière et l’utilisation active de la science et la technologie et de l’innovation demeurent cependant essentielles pour relever les défis mondiaux auxquels l’humanité dans son ensemble doit faire face. La communauté internationale doit surmonter ses différences de valeurs et d’intérêts, promouvoir la coopération internationale, peser les risques posés par la technologie et y répondre de manière adéquate, et intégrer un large éventail d’acteurs dans la discussion internationale, pour que soient représentés notamment le secteur privé, la société civile et la jeunesse.
- 3 Biais de confirmation : Il s’agit de la tendance, lors de la vérification d’une hypothèse, à sélectionner les informations qui soutiennent cette hypothèse parmi de nombreux éléments d’information et à dévaloriser ou ignorer les informations qui ne la soutiennent pas. (Source : imidas)