Livre Bleu Diplomatique 2019
La situation internationale et les relations diplomatiques
du Japon en 2018
Afin de défendre ses intérêts nationaux en matière de politique, de sécurité et d'économie et de maintenir et développer l'ordre international fondé sur les valeurs fondamentales que sont la liberté, la démocratie, les droits de l'homme, l'Etat de droit et le respect du droit international, le Japon doit appréhender avec sang-froid tout changement de la situation internationale et développer une stratégie diplomatique adaptée.
Nous présenterons ci-dessous une vue d'ensemble de la situation internationale ainsi que des relations diplomatiques entretenues par le Japon en 2018.
1 La situation internationale
La situation sécuritaire autour du Japon est sans cesse sévèrement mise à mal. En effet, la modification inédite de l'équilibre des pouvoirs au sein de la communauté internationale et la progression rapide des innovations technologiques ont un impact important et complexe sur la sécurité, tant au niveau mondial que régional. Ainsi, à mesure que se multiplient les réactions face à la mondialisation, même parmi les pays qui profitent du libre-échange, comme les Etats-Unis ou les pays européens, certains manifestent une tendance au protectionnisme et au repli sur soi.
De plus, l'ordre international, fondé sur des valeurs fondamentales telles que la liberté, la démocratie, les droits de l'homme, l'Etat de droit et le respect du droit international qui apportent au monde et au Japon stabilité et prospérité, est menacé par des tentatives unilatérales de changer le statu quo par la force, ainsi que par la montée de l'extrémisme violent et du terrorisme. En outre, l'Europe, qui soutenait jusqu'alors le maintien et l'accélération de l'ordre international, traverse actuellement une période d'agitation avec le Brexit et la dégradation du rôle de moteur politique joué par la France et l'Allemagne.
(1) L'évolution de la situation internationale à moyen et long termes
A L'évolution de l'équilibre des pouvoirs
Depuis le début du XXIème siècle, l'équilibre des pouvoirs au sein de la communauté internationale a connu une évolution d'une ampleur sans précédent, ce qui influence également la dynamique de la politique internationale.
De plus, parallèlement à l'expansion et à l'approfondissement des relations d'interdépendance entre Etats au sein de la communauté internationale, l'accélération et la complexification de l'équilibre des pouvoirs, dues à la montée de puissances nationales comme la Chine, exacerbent les incertitudes planant sur l'ordre actuel.
Il devient manifeste que des tensions interétatiques politiques, économiques et militaires ont pour conséquence la mise en place d'un ordre international et régional autocentré, ou la volonté d'élargir sa zone d'influence.
B La diversification et la complexification des menaces
Particulièrement en Asie, les enjeux de souveraineté et d'intérêts territoriaux complexifient l'environnement sécuritaire et font craindre une augmentation des zones grises où la situation n'est ni vraiment urgente ni vraiment pacifique.
Par ailleurs, on observe également des cas d'usage de moyens permettant de changer le statu quo, comme la « guerre hybride » qui brouille intentionnellement la frontière entre guerre conventionnelle et guerre asymétrique, ou des cas d'ingérence dans le fonctionnement de la démocratie d'un pays par une puissance étrangère par le biais de la manipulation de l'information.
Les problèmes émanant du transfert, de la prolifération et de l'amélioration des performances des armes de destruction massive et des missiles balistiques, ainsi que la possibilité que ces armes soient obtenues et utilisées par des organisations terroristes, constituent une menace constante pour le Japon et la communauté internationale dans son ensemble.
En ce qui concerne le terrorisme, et même si l'on constate le repli de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), il faut continuer à rester prudent quant à l'influence exercée sur la communauté internationale par les entités non-étatiques et les organisations terroristes. De plus, la menace posée par le terrorisme visant ce que l'on appelle des « cibles vulnérables » s'est aggravée ces dernières années. Le développement des outils de communication, notamment celui des réseaux sociaux (SNS), est utilisé pour diffuser des extrémismes violents, une des causes principales du terrorisme, et étendre le champ d'action des organisations terroristes.
Les avancées technologiques et scientifiques récentes créent des activités dans de nouveaux domaines tels que l'espace et le cyberespace. Néanmoins, si ces avancées apportent de nouvelles opportunités, elles donnent également naissance à de nouveaux risques et menaces, d'autant que les normes applicables sont encore en cours d'élaboration.
De plus, les innovations technologiques, telles que l'Internet des Objets (IdO), la robotique, l'intelligence artificielle (IA), la technologie quantique, etc., qui modifieront certainement profondément la façon d'être de la société et des citoyens, progressent. Cependant, la course à la supériorité technologique ne conduit pas seulement à une concurrence internationale de plus en plus acharnée, mais également à un renforcement de l'utilisation de ces technologies à des fins sécuritaires.
C Les tendances économiques mondiales (une tendance manifeste au protectionnisme et au repli sur soi)
L'économie mondiale tend plus que jamais vers un renforcement des interdépendances à travers le développement des chaînes logistiques et des systèmes financiers, avec l'avancée des innovations liées à la mondialisation et aux technologies numériques. Si ces dernières créent de nouvelles opportunités de croissance, elles facilitent également la répercussion des effets néfastes d'un krach ou des fluctuations du cours des marchandises d'une région à une autre, voire sur l'économie mondiale. De surcroît, les innovations dans le domaine des technologies de télécommunication de la 4ème révolution industrielle telles que l'intelligence artificielle, la robotique, le Big Data, etc., génèreront non seulement un changement radical dans les multiples facettes de la vie quotidienne, mais également une modification tout aussi importante de l'ordre économique mondial. Ainsi, afin de faciliter les activités économiques transfrontalières, il est nécessaire de répondre au besoin grandissant d'établir et de maintenir un ordre économique fondé sur des règles.
D'autre part, une tendance allant dans le sens inverse de la mondialisation, continue de prendre de l'ampleur dans les principaux pays occidentaux sous la forme de politiques protectionnistes ou de repli sur soi. Le contexte peut expliquer cette tendance : les disparités salariales, le chômage, l'augmentation des importations, l'afflux de migrants, les problèmes liés au changement climatique, etc. En Europe, bien que l'afflux de migrants et de réfugiés diminue, les disparités économiques entre le Nord et le Sud subsistent. Aux États-Unis, le Président TRUMP n'a de cesse de réaffirmer sa position « L'Amérique d'abord » (« America first »), ce qui a conduit à des frictions commerciales avec la Chine.
D L'aggravation des problématiques à l'échelle mondiale
La communauté internationale s'engage à éradiquer l'extrême pauvreté et la faim dans le monde à travers diverses initiatives s'appuyant sur les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) adoptés en l'an 2000. La pauvreté menace l'existence, la vie quotidienne et la dignité de chacun ; elle est à l'origine d'injustice sociale, de troubles politiques et de l'extrémisme violent. Son éradication est essentielle pour la « sécurité humaine ».
Par ailleurs, le nombre de réfugiés, de déplacés internes et de demandeurs d'asile continuent de croître du fait de la fréquence des crises ainsi que de la prolongation des conflits et des persécutions, atteignant 70 millions de personnes à la fin de l'année 2018, soit le chiffre le plus important depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La question des réfugiés, en plus de représenter une grave crise humanitaire, provoque également des tensions au sein de la communauté internationale quant aux mesures à prendre, et l'on peut craindre qu'elle ne perdure et ne s'aggrave.
De plus, conséquence du changement climatique, des catastrophes naturelles de grande ampleur telles que des ouragans et des pluies diluviennes se sont succédées dans le monde en 2018. A l'avenir, sous l'effet du changement climatique, ces catastrophes naturelles devraient s'intensifier et il est à craindre qu'elles n'impactent durement les populations vulnérables. En outre, la mondialisation s'accompagne d'une augmentation rapide des déplacements transfrontaliers de populations, ce qui aggrave sérieusement le risque de transmission et de propagation de maladies infectieuses. Il a également été souligné que dans le futur, l'accroissement de la population, l'industrialisation et l'urbanisation pourraient aggraver les problèmes liés à l'eau, à la nourriture et à la santé.
Afin de résoudre ces défis à l'échelle mondiale, il est important de mettre en œuvre les objectifs de développement partagés par l'ensemble de la communauté internationale que sont les Objectifs de Développement Durable (ODD) et de s'engager à résoudre les problèmes sociaux, économiques et environnementaux dans leur globalité. On estime que la promotion des ODD génèrera 12 mille milliards de dollars américains et 380 millions d'emplois dans le monde. La réalisation des ODD offre donc aussi l'opportunité de générer de la croissance et des bénéfices. 2019 est une année particulièrement importante pour l'accomplissement des ODD avec la présidence japonaise du G20, l'organisation de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD7) et le premier Sommet des Nations Unies sur le développement durable de New York, aux Etats-Unis. Lors de la préparation de ces évènements, la communauté internationale mettra en commun la sagesse des différentes parties prenantes afin d'entreprendre des actions concrètes.
E Les facteurs de déstabilisation au Moyen-Orient : aggravation du terrorisme et de l'extrémisme violent
Le Moyen-Orient est une région géopolitique importante qui approvisionne non seulement le Japon mais aussi le monde en ressources énergétiques. Sa stabilité est cruciale pour la paix et la stabilité de la communauté internationale, dont celles du Japon. Or, cette région fait face à plusieurs problématiques qui la déstabilisent : l'extrémisme violent de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), les flux importants de réfugiés et leur afflux dans les régions voisines, l'enlisement de la crise syrienne, le processus de paix au Moyen-Orient, les tensions entre les pays de la région, les situations internes en Afghanistan, au Yémen et en Libye, etc.
Bien que le territoire contrôlé par l'EIIL ait diminué suite aux opérations de démantèlement menées en Irak et en Syrie, le retour au pays et/ou le déplacement des combattants terroristes étrangers qui étaient sous l'influence de l'EIIL vers des pays tiers, propagent la menace du terrorisme et de l'extrémisme violent dans le monde entier, y compris en Asie.
(2) La détérioration de la situation sécuritaire en l'Asie de l'Est
A Le développement des armes nucléaires et des missiles en Corée du Nord
La Corée du Nord n'a pas encore procédé au démantèlement complet, vérifiable et irréversible de ses armes de destruction massive et de ses missiles balistiques de quelque portée que ce soit, conformément à des résolutions répétées du Conseil de Sécurité des Nations Unies, et on n'observe aucun changement fondamental quant à ses capacités nucléaires et balistiques.
B Le renforcement opaque de la force militaire chinoise et ses tentatives unilatérales pour modifier le statu quo par la force
Le développement pacifique de la Chine devrait être accueilli avec bienveillance aussi bien par le Japon et que par l'ensemble de la communauté internationale. Cependant, la Chine continue d'augmenter, de manière opaque, son budget de la défense et de renforcer considérablement et rapidement sa force militaire. Elle s'attache également à garantir sa supériorité dans de nouveaux domaines tels que l'espace, le cyberespace ou encore les ondes électromagnétiques. De plus, la Chine, en s'appuyant sur ses revendications personnelles, continue de mener des actions unilatérales dans les espaces maritime et aérien de la mer de Chine méridionale et ceux de la mer de Chine orientale pour tenter de modifier le statu quo par la force, ce qui est incompatible avec le droit de la mer existant.
En mer de Chine orientale, les navires gouvernementaux chinois continuaient leurs intrusions dans les eaux territoriales japonaises près des îles Senkaku en 2018 et l'activité intense de la marine et de l'aviation chinoises a pu y être constatée. Par ailleurs, la Chine continue l'exploitation unilatérale des ressources naturelles dans des territoires maritimes où la délimitation des frontières n'est pas encore déterminée par une zone économique exclusive (ZEE) ou par des plateaux continentaux. De plus, ces dernières années, on a constaté à de multiples reprises que la Chine a mené des recherches sans l'accord du Japon, ou de nature différente de celles pour lesquelles le Japon avait donné son accord, dans l'espace maritime japonais et notamment en mer de Chine orientale.
En mer de Chine méridionale, la Chine a établi des avant-postes à vocation militaire de grande envergure et rapidement opérationnels sur les territoires disputés. De 2016 à 2017, les activités suivantes ont pu être observées : des vols d'essai d'avions civils chinois vers les îles Spratleys, le déploiement de missiles sol-air sur l'île Woody située dans les îles Paracels, des bombardiers et d'autres avions effectuant des vols de patrouille au-dessus du récif de Scarborough, la navigation d'un porte-avion de la marine chinoise en mer de Chine méridionale, etc. Début 2018, les activités militaires chinoises se sont intensifiées avec le déploiement de systèmes de missiles et de systèmes de contre-mesures électroniques dans les îles Spratleys, des entraînements à l'atterrissage et au décollage de bombardiers dans les îles Paracels, etc. D'après la publication d'un groupe de réflexion américain, la surface totale de ces installations permanentes achevées ou en cours de construction en 2017 s'élevait à environ 290 000 m2.
En ce qui concerne le contentieux sino-philippin au sujet de la mer de Chine méridionale, la Chine continue de revendiquer sa souveraineté sur ce territoire, en rejetant, par exemple, le caractère juridiquement contraignant du jugement final du Tribunal arbitral, rendu en juillet 2016.